Une tâche à la hauteur...[pv Fint]

Galatea avait marché des jours durant depuis la demeure du recruteur jusqu'à Krhun. Elle avait passé sans aucun problèmes les portes, avait mis en déroute quelques badauds, mais surtout avait surpris pour la première fois de sa vie des regards vers sa petite personne autres que haineux, apitoyés. La voyant aborder la broche de sa brigade, les gardes des portes s'étaient inclinés en lui témoignant un profond respect teinté d'hypocrisie, mais elle n'y avait pas fait attention. Quelques enfants l'avaient pointée du doigt, elle et son manteau courte, sa lourde épée et son air décidé, une petite fille l'avait fixée tout du long, les yeux admiratif et c'était non sans une certaine fierté que la guerrière s'était rendue par la voie d'honneur, l'allée centrale au château de son seigneur.

Sa formation avait duré cinq ans, cinq longues années pleines d'apprentissage, de nouvelles choses et de découvertes, de sang et de sueur, de réussite. Elle espérait seulement être à la hauteur de ce qu'on lui demanderait de faire, ou plutôt, que les tâches qu'on lui confierait seraient à la hauteur de sa personne, de ses exigeances, de son envie de vengeance.

Elle n'avait que peu entendu parler du seigneur Fint, elle savait qu'il avait une fille chérie, et qu'il courtisait la reine comme tout bon seigneur, mais elle ne comprenait pas à vrai dire la nécessité qu'il avait de posséder sa propre brigade, ses Guerriers Noirs. Lorsqu'elle s'était présentée à la porte, on l'avait d'abord jugée sur toute sa hauteur, puis les gardes avaient ris et s'étaient moqués d'elle et de sa lourde épée. Elle l'avait lentement posée et les avait mis au défit de la soulever. L'un de ces crétins avait relevé le défis et s'était bien entendu retrouvé totalement incapable de bouger, elle lui avait alors saisit l'oreille, et, d'un ton qui ne laissait rien envisagé de bon, lui avait susurer que "Le seigneur Fint m'attend avec impatience je crois, il vaudrait mieux que tu m'ouvres ou je serais contrainte de te couper en deux dans le sens de la hauteur."

Devant une telle menace, l'armoirie qu'affichait son épée, l'aisance avec laquelle elle la hissa sur ses épaules et la broche qu'elle abordait, on ne put que lui ouvrir la voie en s'inclinant bien bas. Instinctivement, elle se dirigea à travers le château jusqu'à rencontrer une pièce circulaire avec au centre un table, ronde bien entendue, des cartes et des armes trainaient un peu partout, un léger sourire sur les lèvres, la guerrière vengeresse posa soigneusement sa Claymore contre le mur et s'assit sur la table en croisant les bras, attendant Fint.

Le Seigneur Fint se dirigeait à travers les couloirs vers la grande salle qui servait de quartier général à la crème des membres de sa brigade. Une brigade dont il s'amusait à "exhiber" une infime partir aurprès de la reine Maenne Silfar en la décrivant comme "une aide précieuse contre les troubles récents qui frappent nos royaumes". Il l'arborait fièrement en énonçant de nobles intentions quant à la création de cette petite armée. D'ailleurs, le nombre de têtes qu'il avait officiellement donné n'atteignait même pas le dixième de l'effectif total des Guerriers Noirs. Il avait laissé entendre qu'il s'agissait d'un petit groupe de soldats sans importance dont le but principal était d'enquêter sur les origines des troubles et d'aider l'armée de la reine à lutter contre tout cela.

Il longeait les murs à une vitesse surprenante, se dirigeant vers la salle de réunion. Des torches illuminaient le couloir à intervalles réguliers et un crépitement se faisait entendre lorsqu'on passait près d'une d'entre elles. C'était un bruit qu'il appréciait, il lui rappelait son enfance passée les longues soirées d'hiver à écouter le feu chanter dans la grande cheminée de la salle de réception du palais. Mais cela lui rappelait aussi certaines exécutions dont il avait été le commanditaire...

D'un pas assuré, il arriva donc très vite devant la porte en bois gardée par deux gardes en armure lourde. Chacun avait une épée large flanquée à son côté gauche et portèrent la main à la garde quand ils entendirent des pas venir vers eux. En voyant la silhouette de leur seigneur apparaître devant eux, ils ôtèrent les mains de leurs épées et saluèrent Fint en une révérence maladroite dûe au poids important et à l'encombrement de leurs armures. Puis ils s'écartèrent après avoir déverrouillé la porte afin de laisser passer le Seigneur de Khrun.

Monseigneur, déclara l'un d'entre eux avec respect.

Ce dernier gratifia les deux gardes d'un sourire froid et peu sincère en guise de remerciement. Puis il quitta le couloir pour la salle de réunion. D'un pas toujours assuré, il se dirigea vers son trône -car il possédait aussi un trône dans la pièce- alors que, derrière lui, la porte se refermait.

Il fit deux fois le tour de la table, le bout de ses doigts l'effleurant, puis il prit place à sa place. Il s'y installa, l'air pensif et grave. Une femme se trouvait là, assise sur la table dans une pose quelque peu provocante, une dame aux formes généreuses qui attiraient généralement ses yeux, mais aussi une excellente guerrière. Nul doute qu'elle figurait parmi la crème de ses agents, mais il se cachait bien de le dire. Il préférait la garder dans sa manche. Elle était un atout incontestable de par son don pour l'art du combat et sa facilité à tromper le monde à travers ses multiples visages. Et puis, même s'il ne l'avouait pas, il l'aimait bien et l'appréciait pour plus que cela...

Agent Naemesis ! déclara Fint avec un ton surpris, bien qu'il ne le soit pas le moins du monde.

Vous voilà... dit-il avant d'esquisser un sourire en coin.

Quelles sont les nouvelles de Cärven ? Quel est l'avancement des recherches des agents de la Reine ? demanda-t-il comme chaque semaine. Il avait pris pour habitude de faire épier discrètement les recherches royales concernant les troubles.

Galatea n'avait pas eu à attendre bien longtemps avant que le Seigneur Fint ne se montre. Il était de coutume qu'ils se retrouvent à cette heure-ci, et elle était toujours à l'heure, lui l'était un peu moins mais ce qui importait à la blondinette, c'était surtout le pourquoi de sa venue. Auparavant, Gnossos lui avait seulement enseigné les armes et peu de tactique, elle avait été d'abord pendant quelques petits mois à temps partiel parmis les guerriers noirs, ce qui avait d'ailleurs attiré sur elle des moqueries et des sarcasmes de la part des autres, mais rapidement elle s'était imposée. Elle était celle qui contredisait les grandes gueules et coupait sournoisement un raisonnement pour le démanteler point par point, celle qui souriait élégamment à un reproche et celle enfin qui surpassait bien des hommes au combat.

Oh, les hommes de Fint étaient forts, très forts, redoutables même, mais elle était à leur hauteur, et n'était pas des plus mauvaises parmis ses confrères et consoeurs. Gnossos avait promis un petit prodige, et elle était venue en parfaite innocente, jusqu'à se voir confier une tâche très importante pour elle.

Fint était entré sans aucune cérémonie, avait du bout des doigts frotté la table et s'était ensuite tout simplement posé dans son fauteuil en silence. Il avait mis quelques secondes à remarquer sa présence, peut-être parce que Galatea n'avait pas particulièrement cherché à se faire voir, tout du moins pas immédiatement, ses informations, tout de même importantes, étaient loin d'être capitales.

Elle sourit doucement et se leva en soupirant, prenant un air théâtral pour se poster dos à Fint, le regard perdu vers l'extérieur, plongé à travers l'unique fenêtre de la pièce.

"Heureuse de vous revoir également Monseigneur."

Un ange passa, la guerrière se gratta discrètement la nuque et fronça les sourcils, se tournant vers lui en étirant ses lèvres d'un fin sourire.

"La reine patauge, c'en devient amusant. Elle commence à croire que c'est un pays voisin qui est responsable des troubles, un monde autre, ou bien des créatures cachées, on commence à la croire folle... Je me suis rendu chez notre voisin, à Harch, et ce n'était pas vraiment facile d'y arriver croyez-moi..."

Elle marqua une pause, se tournant pour croiser les bras sur sa poitrine, s'adossant à la fenêtre crasseuse.

"Là-bas c'est tout autre chose, à cause de ce désert ils sont totalement isolés des informations du dehors, ce serait un excellent point stratégique pour... semer un peu plus de doute dans l'esprit des populations, quitte à prévenir d'une nouvelle levée d'impôt au nom de la reine, levée factice bien entendu, mais lorsqu'elle s'en rendra compte il sera bien trop tard... Nos hommes ont assassiné par mégarde un des courtisans de la reine, ils l'ont bien sûr fait immédiatement passé pour un traître qui les avait menacés et attaqués. Cette... petite idiote les a crus, tout pourrait tourner en notre faveur..."

Elle leva un sourcil et son sourire s'enfuit sauvagement pour laisser place à un air insolent.

"S'il n'y avait pas ces Dhrun "

Ethran Fint, bien que ne semblant pas prêter attention à la jeune femme, l'avait remarquée dès la seconde où ses bottes foulèrent le marbre gris de la pièce. Il n'avait pas daigné lever les yeux vers la guerrière noire tout simplement car il aimait bien feindre l'indifférence, mais aussi car il souhaitait éviter de laisser ses yeux regarder trop longtemps certains atouts de la jeune femme. Il admirait notemment sa tenue, relativement simpliste puisque composée de vêtements à l'apparence ordinaire afin -pensait-il- de se fondre plus facilement dans la masse des foules du royaume. Souvent, même, il se prenait à se demander comment elle faisait, d'où lui venait de don pour le camouflage, cette capacité qui la caractérisait tant et qui lui donnait un petit plus, une petite part de mystère non négligeable et qui faisait son charme.

Mais il n'était pas là pour rêvasser ni même pour philosopher sur des questions existencielles qui lui traversaient l'esprit. Il y avait là, à cette réunion, une raison plus importante que toutes ces futilités auxquelles il pourrait songer plus tard.

Il allait avoir des nouvelles croustillantes toutes droit venues de Cärven, et cela figurait sans le moindre doute parmi le genre de choses qu'il se plaisait à entendre. Il se riait généralement de la reine Silfar qui semblait patauger royalement -si on peut dire- dans la choucroute -là encore, faudrait-il déjà que ce plat ait été inventé sur Lëlwen !

Le sourire mauvais de Fint s'élargit au fur et à mesure que son agent lui révélait qu'une fois de plus, la jeune souveraine ne savait où donner de la tête et qu'elle soupçonnait un pays autre que le sien d'être à l'origine de tout cela. Pour l'instant, tout se déroulait comme il le souhaitait.

Très bien ! s'exclama alors le seigneur de Khrun. Qu'elle continue ainsi... A son sourire, on pouvait sentir qu'il prenait un malin plaisir à la voir ainsi. Et si nous lui donnions une fausse confirmation de ses craintes ? pensa-t-il à haute voix en s'imaginant la réaction de Cärven lorsque quelques créatures débouleraient dans leurs contrées depuis les terres d'un pays soupçonné. Dans ce rôle, il imaginait sans la moindre difficulté Nmod, bien qu'il puisse faire un allié précieux pour lui. Non... Pas Nmod... lâcha-t-il pour lui-même.

Inutile d'espérer rendre crédible une attaque de créatures venant des îles volcaniques ni même Nmod. Ils sont géographiquement trop mal placés et se feraient rapidement encercler et défaire si jamais ils venaient à être attaqués. En revanche, nous pourrions voir en eux des alliés précieux contrôlant les mers et pouvant aider dans des éventuels embargaos commerciaux par les voies maritimes. Mais là n'est pas le sujet, se reprit-il pour revenir à ses propositions.

Une attaque venant de Diejt, Lysna ou de la forêt des elfes serait vite identifiée comme une diversion de par le manque de crédibilité d'hostilités de ces royaumes envers Cärven... Nous savons tous ici qu'ils sont sans conteste rangés du côté de Sa Majesté... ironisa-t-il en effectuant quelques mimiques toutes aussi moqueuses que ses paroles.

En revanche, une venant des Monts Septentionnaux... Bien entendu, une telle proposition pourrait paraître absurde, mais la part incontestable de mystère de ces contrées pourrait finalement être une bonne chose et il faudrait creuser un peu l'idée... proposa-t-il sans réel enthousiasme, cependant. Il ne croyait que très peu à la viabilité d'une telle proposition mais la gardait sous le coude au cas où.

Puis il revint au sujet initial de la conversation, à savoir les résultats du fouinage de la jolie blondinette qui était là, assise fièrement sur la table.

Bien ! Harch pourrait en effet être utile ! Il est vrai que, son accès restant limité à quelques rares marchands, les informations arrivent généralement là-bas soit en retard, soit n'arrivent pas du tout. Il serait donc fort possible, en usant de discrétion et de ruse, d'ordonner une nouvelle levée d'impôts surprise et simulée sur l'ordre de la reine. Cela sèmerait en effet le trouble dans l'esprit des pauvres habitants de cette ville qui, au final, certainement mécontents, finiraient par se rebeller réellement. Ceci dit, il faudrait leur ôter tout moyen d'apprendre malencontreusement que les précepteurs ne sont pas envoyés par la Reine... Nous devrions donc contrôler les entrées et sorties du territoire, et le problème est là ! Un tel comportement éveillerait les soupçons à coup sûr ! Nous ne pouvons nous permettre de prendre un tel risque... ronchonna Fint en réalisant la faille de cette proposition.

Oh ? Vraiment ? demanda alors le guerrier en détournant la conversation sur le cas du "présumé traître". Mais quelle petite sotte ! cria Fint en se levant et en tapant du poing sur la table avant d'éclater de rire. Bien... dit-il ensuite en se frottant les mains dans un air pleinement satisfait et avec de nombreuses idées lui traversant la tête.

En effet, ses chers Dhruns ne nous aident pas... se remit-il à ronchonner en revenant à la conversation et en reprenant place sur son trône. Si seulement nous pouvions les écarter d'elle... s'exclama-t-il, sans vraiment croire à ce que cela soit possible, ...ou mieux, les avoir avec nous ! renchérit-il, cette fois-ci de manière encore moins convaincue.

Il se releva et vint se poster face à l'agent Naemesis. Il soutint son regard un long moment, jusqu'à ce qu'elle détourne le regard avant de déclarer "Vous avez fait un excellent travail. Je songerai à vous faire octroyer une promotion au sein de cet ordre." Au ton de sa voix, elle pouvait sentir que ces paroles étaient sincères et qu'il le pensait réellement, chose rare chez lui.

Avez-vous quelque chose à ajouter ? Une suggestion ? demanda-t-il enfin à son agent, curieux d'avoir son avis sur la question.

La guerrière noire avait écouté en silence son seigneur tourner en rond sur une question de stratégie. Que pensait-il donc? Qu'elle-même n'avait pas réfléchit à la question? Elle avait de son propre côté mené l'enquête sur le lieu le plus approprié stratégiquement pour poster des gardes, lever des impôts et magouiller. Au delà de la guerrière, c'était la vengeance qui germait dans son ventre et son esprit. Elle-même s'était retrouvée à la rue à cause de nouveau impôts, elle n'osait pas imaginer ce que seraient obligés de faire bientôt les habitants du désert. Mendiants, prostituées, voleurs et violence seraient bientôt le quotidien de cette ville écartée de tout.

Bien sûr, venait ensuite la question du contrôle du territoire, et cela encore elle avait eu les idées claires et pleines de malice. Il suffisait de poster suffisamment d'hommes parmi la cité de leur côté, hommes qui épieraient les habitants, qui les suivraient une fois sortis, et surveilleraient par dessus tout leurs déplacements. Ou alors, le mieux était de faire croire à une épidémie, une quarantaine serait alors imposée à la ville. Au delà de la frustration, la trahison se fera sentir, ils se sentiront muets, forcés de se taire par une quarantaine, et alors tout exploserait, ce serait merveilleusement facile. Un léger sourire s'installa alors sur les lèvres de la jeune femme, un sourire qui en disait long sur son désir de vengeance. Elle avait à peine entendu le compliment de Fint, perdue dans les méandres de ses envies de tuerie, de massacre...

"Je crois Monseigneur que les Dhruns peuvent être de bien plus précieux alliés que vous ne pouvez l'imaginer. Ils croient déjà que nous sommes de leur côté, aucun ou presque ne nous soupçonne de quelque chose vous savez. Nous somme après tout de "simples guerriers espions pour le compte de la reine". Ils ne nous sont pas hostiles mais empêchent bien trop de magouilles pour que l'on puisse faire quelque chose pour l'instant. Il serait intelligent, sage même d'attendre que le temps passe avant de frapper un grand coup, si vous voulez mon avis."

La blondinette ôta doucement ses gants qu'elle lança sur la table avant de soupirer et s'assit élégamment sur un siège à quelques mètres de Fint. Elle n'était pas fatiguée, juste... blasée, usée par toutes ces magouilles dans le noir. Elle se demandait secrètement quand arriverait enfin le moment où elle pourrait abattre la reine de ses propres mains, ou bien revoir Gnossos. Cet homme était à lui seul le résumé de toute sa vie, de tout ce qu'elle savait et avait encore à savoir. Son regard se perdit sur le trône de Fint, elle regardait dans le vide, fixant sans s'en rendre compte son menton et son visage qui commençaient à être creusés par le temps.

"Si monseigneur permet une remarque cependant, je pense qu'il faudrait tout de même me laisser rencontrer d'autres membres de cette... faction. Je peux agir seule, mais pour d'autres choses il me faudrait de l'aide."

Elle se ressaisit, effaçant son air absent et reprit son visage sévère, impitoyable et doux à la fois.